En 2018, l'âge moyen des égéries beauté grimpe en flèche. Alors que les jeunes femmes à peine sorties de l'adolescence régnaient encore il y a quelques années sur ce monde implacable, des mannequins plus expérimentés s'y font une place.
Laura Dern (51 ans) pour Kate Spade, Isabelle Adjani (63 ans) pour L'Oréal Paris, Isabella Rossellini (66 ans) pour Lancôme... Les nouvelles stars de nos publicités n'ont pas 20 ans. En 2018, nombre de marques de beauté ont choisi de faire appel à des égériesà la cinquantaine proche voire révolue et changent leur vision de l'âge. Géraldine Bouchot et Ambre Venissac, respectivement directrice éditoriale et chef de projet mode du bureau de tendances Carlin, décryptent ce mouvement.
Plus cantonnées à l'anti-âge
Aujourd'hui, les mannequins nouvelle – pour ne pas dire ancienne – génération ne sont pas uniquement embauchés pour parler de leurs rides. Selon Géraldine Bouchot, «on ouvre le prisme». Des icônes prêtent leur visage à des gammes de maquillage et parfum, la cinquantaine proche ou passée. On pense à Naomi Campbell pour Nars (48 ans) – dont le créateur François Nars fait régulièrement appel à des femmes matures –, Laura Dern pour les parfums Kate Spade, Isabelle Adjani pour le mascara Volume Million de Cils de L'Oréal en plus de la gamme Age Perfect, ou encore Maye Musk (70 ans), mannequin et mère du fondateur de Tesla Motors, Elon Musk, pour le maquillage CoverGirl.
En dehors de ces égéries de renom, «il y a aussi beaucoup de campagnes avec des mannequins seniors anonymes», ajoute Ambre Venissac. «Certaines marques prennent cet engagement en dehors des personnalités connues.» On compte M.A.C., mais aussi Make-up Revolution, la chaîne de magasins américaine Ulta Beauty, et la marque de maquillage pour les yeux Eyeko. Cette dernière a fait appel à Daphne Selfe, 89 ans dont 70 de carrière dans le mannequinat.
En vidéo, Isabelle Adjani au festival de Cannes avec L'Oréal Paris
Le règne des pléniors
Pourquoi ce réveil soudain ? Pour Géraldine Bouchot, «les gens portent un regard plus serein sur la beauté». «On est dans l'ère de la diversité, du "body positivisme". L'idée de bien vieillir fait écho à une question sociétale», plussoie Ambre Venissac.
Face à ce regain de conscience, les plus sceptiques pourraient avancer l'argument du marketing. Ambre Venissac évoque en effet le potentiel des seniors : «Ils ne sont pas ceux d’auparavant. Ils ont fait mai 68, profitent, et mettent l'accent sur le plaisir. Leur rapport à la séduction a évolué. Chez Carlin on les appelle les "pléniors" (contraction de plénitude et seniors, NDLR).» Après avoir misé sur les ados et les jeunes adultes, les maisons de cosmétiques changent de stratégie.
Géraldine Bouchot parle aussi d'une «nouvelle identité de marque positive pour le client». «La relation devient plus émotionnelle entre l'entreprise et son consommateur.» Et met en garde les opportunistes : «La bonne foi d'une marque sera très vite vérifiée par le consommateur. On leur demande une sorte d'engagement, en plus d'être de plus en plus claires et cohérentes. Dans la société contemporaine, tout est un combat.» Face à cette évolution sociétale, quel est le nouveau challenge des publicitaires ? «Faire rêver tout en restant justes», selon cette dernière. Le credo d'une nouvelle ère pour le marketing beauté ?
En vidéo, comment exfolier ma peau en douceur ?
"Pourtant, je n'ai pas rajeuni !"
Côté anti-âge, le marketing évolue aussi avec la société. Finie la rhétorique antirides, on avance vers une acceptation des signes de vieillissement. «Le côté lifté d'il y a quinze ans est complètement ringard», fait remarquer Ambre Venissac.
Plus de vingt ans après avoir été évincée de Lancôme car trop âgée, Isabella Rossellini, 66 ans, est revenue au sein de la maison de luxe en fanfare dans une campagne non-photoshopée dévoilée en mars. Dans un communiqué publié à l'annonce de cette collaboration, Lancôme portait ce discours : «Isabella Rossellini entretient un rapport très positif et serein à l'âge, vécu comme une forme d'affranchissement et de renforcement de soi.» Quant à l'actrice italo-américaine, elle a ironisé dans une interview pour la marque : «Pourtant, je n'ai pas rajeuni!»
Cette année, Monica Bellucci et Isabelle Adjani ont aussi été choisies comme ambassadrices de lignes de produits anti-âge - et non antirides -, respectivement pour Nivea et L'Oréal Paris. Le mastodonte des cosmétiques a été précurseur dans le domaine, en désignant Jane Fonda (81 ans), Diane Keaton et Helen Mirren (toutes deux 73 ans) comme égéries. Cette dernière a d'ailleurs salué l'entreprise lors d'une conférence au Festival de Cannes en 2017 : «Cela me rendait folle quand je voyais des publicités avec des filles de 15 ou 16 ans qui faisaient la promotion de soins pour le visage. À 30 ans, je les regardais et je me demandais : "De quoi vous parlez ?" C'était ridicule. Cela m'énervait beaucoup. Les annonceurs sortent à peine de cette pratique, mais ils ont mis du temps.» Ce n'est pas Yann Moix qui dira le contraire.